Taussat : on l'appelait familièrement "Le camp des nègres"

[ petite histoire sociale et balnéaire ]

 

Je suis retourné voir le lotissement d’Elloy, à Taussat, ce mois de novembre.

 

 

 

J’avais souvenir d’innombrables cabanes, dans les bois, au milieu d’un inextricable réseau de chemins de terre. Des cabanes, en bois, en panneaux de ciment, des constructions hétéroclites, multicolores. Des terrasses, des parasols, des jardins, des abris, des « piscines », des réserves d’eau, des toiles tendues, comme on en voit dans les campings ou les villages de vacances, un peu bricolés et aménagés avec les moyens du bord.

 

 

 

Je me rappelais qu’on l’appelait le lotissement d’Elloy. Que des familles occupaient là des terrains mis à disposition par un « commandant d’Elloy ». Que chaque été s’y retrouvaient des dizaines (des centaines ?) de familles pour les vacances. Je me rappelais aussi que le lieu posait problème – question hygiène, sécurité, salubrité – et de plus en plus au fil des ans, quand les terrains et villages alentour commençaient d’attirer résidents aisés et promoteurs en quête d’affaires juteuses.

 

 

 

Dix ans après, et bien que les lotissements aient largement gagné sur la forêt, je n’ai pas eu de mal à retrouver le chemin. Mais justement, dès l’entrée dans le bois, le chemin avait disparu, laissant place à une large voie goudronnée, visiblement récente. En la prenant, je vis vite que tous les chemins avaient subi le même sort et chaque impasse était signalée par un panneau, neuf aussi. Des dizaines de panneaux… Les cabanes avaient laissé place à des maisons, toutes en bois, toutes un peu les mêmes, neuves, ou en cours de finition. Des parcelles bien délimitées, engazonnées, arrosage automatique, portail électronique, piscines, terrasses en bois, jeux pour enfants, garages et voitures neuves.

 

 

 

Je fis un tour, cherchant quelqu’un à questionner. Personne, même s’il faisait doux et soleil. Je repérai une vielle cabane en ciment mais elle était vide. Puis deux autres, au détour d’une voie, fermées elles aussi. Et un tas de bois, reste d’une cabane juste démolie, rassemblé au milieu d’une parcelle, sur laquelle était planté un panneau avec écrit à la main « terrain à vendre » puis un numéro de téléphone.

 

 

 

J’appelai. Pas pour acheter, mais pour savoir ce qui s’était passé ici.

 

 

 

« Allez voir mon père, c’était sa cabane. Il habite à Taussat, rue Gabriel. »

 

 

 

J’y allai et le trouvai dans son jardin.

 

 

 

Alors ?

 

 

 

« L’histoire remonte à Napoléon. C’est lui qui avait distribué les terres, au commandant d’Elloy et, pour le reste de Taussat, aux De Courcy.

 

 

 

En 1962, je suis venu travailler à Bordeaux – dans la police – et le week-end, je venais à la plage à Taussat. Un jour, j’ai demandé à Fraiche, l’ostréiculteur, s’il ne connaissait pas un terrain à vendre. Il m’a dit d’aller voir le commandant d’Elloy. Sans oublier de préciser : “S’il dit du mal, ou du bien de De Gaulle, vous dites comme lui.” Je suis donc allé le voir.

 

 

 

“Vous avez des enfants ? m’a-t-il demandé.

 

— Oui.

 

— Combien ?

 

— Trois.

 

— Ce ne sont pas des blousons noirs au moins ?

 

— Bien sûr que non. Vous voulez les voir ?

 

— Oui.”

 

 

 

Je suis donc allé les chercher et nous sommes ensuite allés voir les terrains.

 

 

 

Le commandant louait des parcelles pour que les gens entretiennent ses bois. Il nous a amené au milieu des bois et a commencé à compter de grands pas pour délimiter l’espace. Vingt pas d’un côté, puis d’un autre. Il plantait sa canne à chaque coin.

 

 

 

“Voilà. Vous vous installerez ici !”

 

 

 

Ce que j’ai fait.

 

 

 

En 1962, on payait 300 francs par an.  Et chaque année, il fallait porter le loyer au commandant pour avoir un papier signé.

 

 

 

Pour construire, j’ai pu avoir des cadres de déménagement. Je connaissais des gens qui travaillaient au port de Bordeaux. Quatre cadres. C’était du bois exotique. Je les ai fait venir. Je les ai assemblés et recouverts de croûte de pin. J’avais la plus belle des cabanes.

 

 

 

Nous étions environ trois cents familles, de Bordeaux pour l’essentiel, qui venions là les week-end et pendant les vacances. Au début, nous étions les étrangers. Les commerçants du village ne voulaient pas de nous. Après, ils ont compris. En été, le boulanger faisait trois tournées chaque jour…

 

 

 

À l’époque, le maire ne voulait pas de nous non plus. Il a tout fait pour nous faire partir, mais le commandant nous disait : “Moi vivant, vous resterez !”

 

 

 

Un jour, ils ont envoyé la DDASS. Cinquante personnes qui ont débarqué au petit matin, le préfet et le ministre (Hourcade ? Fourcade ?) qui survolaient la zone en hélicoptère. Ils ont prélevé et cherché partout. En début d’après-midi, il y en a un qui est sorti en criant : “J’ai trouvé !”

 

 

 

Quand ils ont su que le prélèvement provenait de l’eau de la ville, tout le monde a plié bagage, et on ne les a plus revus.

 

 

 

Un jour, le commandant est mort. Ce sont ses héritiers qui ont pris la suite.

 

 

 

Ils ont décidé de vendre les terrains aux occupants, à un prix très bas. Il fallait prouver que l’on était occupant, alors ceux qui ne payaient pas le loyer n’ont pas pu le faire.

 

 

 

Ceux qui ont pu acheter ont fait construire. C’est devenu un lotissement réglementaire. Ils avaient obligation de construire des maisons qui ressemblent à des cabanes, pour garder le cachet du lieu. En fait, ce sont des maisons normales, mais recouvertes de bois.

 

 

 

Ça marche droit maintenant. C’est bien. »

 

 

 

 

 

Alain Chiaradia

 

Propos recueillis en novembre 2009.

 

 Photos prises en juin et novembre 1986.

 

 

 

 

 

_________________________

 

 

Extrait du courrier adressé par la Mairie de Lanton à un résident du lotissement La Ferme de Taussat, octobre 2017 :

 

 

 

« En réponse à votre courrier cité en référence concernant votre demande d’augmentation de l’emprise au sol pour le lotissement la Ferme de Taussat,

 

 

 

J’ai l’honneur de vous confirmer ma position exprimée lors de notre dernier échange qui a eu lieu au cours de la réunion publique du 12 octobre dernier.

 

 

 

Bref historique :

 

 

 

·      À l’origine et dans un but « médico-social », le Commandant d’Elloy avait délivré sur papier libre environ 300 titres d’occupation de terrains destinés à des personnes de santé fragile pour occuper de petites parcelles de terrain et venir se ressourcer pendant les vacances, à Taussat-les-Bains.

 

 

 

·      Au fil du temps, bon nombre de ces « locataires saisonniers » ont construit sans autorisation des petits chalets en bois non raccordés ni à l’eau, ni à l’électricité, ni au tout-à-l’égout.

 

 

 

·      La totalité de la propriété concernée était alors déjà située en Site Inscrit, ainsi qu’en zone protégée avec des Espaces Boisés Classés (Cf POS du 20 décembre 1983).

 

 

 

·      Ce secteur appelé familièrement « camp des nègres », « bidonville »… a vite fini par devenir une zone à très hauts risques notamment sur le plan sanitaire et sur le plan de la sécurité incendie (pas de protection incendie : absence de bornes ou poteaux).

 

 

 

·      Après de nombreux jugements des tribunaux (non appliqués) visant la destruction des « cabanons » et pour sortir de cette situation délicate, la Municipalité en accord avec le Comité de Défense, les propriétaires et les services de l’Etat ont proposé de « détramer » les EBC existants pour réaliser un lotissement à caractère saisonnier avec toutes les commodités.

 

 

 

·      Un cahier des charges très strict a été travaillé avec l’architecte des Bâtiments de France (Site Inscrit oblige) pour permettre aux résidents de démolir leurs cabanons et reconstruire des chalets bois saisonniers dans des conditions sanitaires et sécuritaires plus décentes.

 

 

 

·      Les prix de vente proposés étaient alors nettement inférieurs aux prix du marché immobilier (démarche attractive et sociale visant la régularisation de l’existant avec le maintien des résidents).

 

 

 

Situation à ce jour :

 

 

·      Ce lotissement exemplaire réalisé dans ce Site Inscrit est devenu une véritable référence d’intégration environnementale avec un bâti qui se fond parfaitement dans son écrin végétal d’origine.

 

 

·      Seul le respect d’un cahier des charges très strict a permis de garantir le maintien de cette qualité paysagère.

 

 

 

Constatations :

 

 

 

·      Bon nombre de résidences initialement prévues pour de l’habitat secondaire se sont transformées en définitive, en résidences principales (besoin de plus d’espace de vie…) !

 

 

 

Demande d’une frange des résidents :

 

 

 

·      Dans le cadre de l’élaboration du nouveau PLU, certains résidents demandent à obtenir une emprise au sol plus importante (30 % au lieu des 20 % déjà proposés) alors que le cahier des charges initial prévoyait une emprise ciblée à la parcelle oscillant entre 10 et 20 % en moyenne + 20 m2 d’abri de jardin.

 

 

 

·      Cette requête formulée par deux propriétaires représentant une partie des résidents, a été examinée par le Comité de Pilotage du PLU après l’audition de Monsieur X… Il est également à noter que de nombreux autres résidents demandent quant à eux, une protection exemplaire.

 

 

 

·      De concert avec l’Association Taussat Village, le Comité a estimé à l’unanimité que l’augmentation de l’emprise au-delà de 20 % allait irrévocablement générer des extensions d’habitations, annexes… avec nécessité de procéder à la coupe et l’abattage d’arbres ce qui nuira forcément à la qualité de ce lotissement, qui historiquement, est le plus protégé de la commune.

 

 

 

·      La proposition faite par la commune à 20 % d’emprise au sol paraît tout à fait satisfaisante et raisonnable car elle est analogue à celles retenues sur les lotissements de Fontaines et du Vieux Port de Taussat, dans un souci d’harmonisation des règles.

 

 

 

 

 

 

En conséquence, j’estime d’une part, que la Municipalité vous a déjà permis d’obtenir une emprise au sol nettement supérieure (souvent le double) à celle figurant sur vos actes d’achat et d’autre part, que les résidents ont acheté en parfaite connaissance de cause dans cet environnement particulièrement fragile et sensible que j’entends préserver. »